SUR LE SENTIER DE LA GUERRE AVEC LE 421e ESCADRON

Issu du village de Bainsville, en Ontario, près de la frontière du Québec, Archie Robertson était le plus jeune de quatre frères qui ont combattu pendant la Seconde Guerre mondiale. Les deux plus âgés, Albert et William, se sont engagés dans l’armée canadienne, tandis qu’Archie et son autre frère Alex se sont engagés dans l’Aviation royale canadienne.

Archie Robertson a suivi une formation à Trenton, en Ontario, après son enrôlement en septembre 1941 pour devenir mécanicien de cellule d’aéronefs, soit un « monteur » dans le jargon de l’époque. Il est resté à l’École d’instruction de vol no 1 jusqu’en décembre 1943, date à laquelle il a été affecté outremer.

Il s’est joint au 127e Escadre, unité entièrement canadienne, de la 2e Force aérienne tactique de la RAF en février 1944, assurant l’entretien des Spitfire du 421e Escadron « Red Indian » aux bases de la RAF de Kenley et de Tangmere, avant de traverser la Manche six jours après le débarquement en Normandie.

Il a tenu un bref journal de son service, de la traversée de la Manche jusqu’à la fin de la guerre. Après la guerre, il a rédigé un bref mémoire de 16 pages sur la vie d’un mécanicien dans une unité de combat se déplaçant constamment en concert avec les lignes de front. En dehors de la grammaire et de l’orthographe [pour la plupart corrigées], c’est un aperçu sur une partie de la guerre dont on parle rarement.

J’adore ces mémoires artisanales, écrites par les hommes dont l’histoire n’est pas souvent racontée. On parle ici des monteurs, des ajusteurs, des armuriers, des chauffeurs et des cuisiniers qui ont connu les mêmes privations, les mêmes traversées dangereuses, les mêmes bombardements, les mêmes heures interminables et les mêmes pertes de camarades. Trop souvent ils sont éclipsés par les raconteurs des gloires et des terreurs de l’aviation de combat. Ces mêmes gens se contentent également de féliciter dans les coulisses les compétences et le professionnalisme des hommes enrôlés qui ont rendu tout cela possible et qui se souciaient profondément de « leurs » avions et pilotes.

Aujourd’hui, on peut rapprocher à l’histoire canadienne d’être insensible et ignorant envers les personnes non autochtones qui se servent du terme « Red Indian », mais dans le ciel meurtrier de l’Europe continentale pendant la Seconde Guerre mondiale. Cependant, les pilotes et les mécaniciens de l’escadron 421 de l’Aviation royale du Canada (ARC) étaient fiers de porter le nom des guerriers légendaires des Premières Nations du Canada et de leur être associés. L’insigne héraldique officiel de l’escadron 421 représente encore aujourd’hui un guerrier autochtone coiffé d’un bonnet de guerre des « Plaines Indians » et surmonté d’une paire de tomahawks croisés (en sautoir). Il s’agissait d’un symbole approprié pour évoquer le courage, le Canada, l’individualisme et les liens tribaux pour inspirer la peur à l’ennemi. L’escadron ne le considérait pas comme raciste ou comique, mais plutôt comme un totem de leur puissance et le reflet de ce qu’ils étaient — des guerriers canadiens. La devise latine unique de l’escadron, « Bellicum Cecinere », se traduit officiellement et poétiquement par « Ils ont sonné la trompette de la guerre » ou plus simplement et plus correctement par « Cri de guerre ». Robertson écrit que la devise de l’escadron était « Sur le sentier de la guerre », mais c’est peut-être ce que les membres de l’escadron croyaient à l’époque. Je ne fais aucune correction politique de l’ouvrage d’Archie Robertson « Les péripéties de l’escadron Red Indian », seulement des corrections grammaticales.

Archie Angus Robertson est décédé en 2006 à l’âge de 86 ans. Il demeurait toujours dans la région de Bainsville. Ses courtes mémoires nous ont été suggérées par Winston Smith.

Dave O’Malley

Les péripéties de l’escadron Red Indian

Sous-titré : « L’histoire peut maintenant être racontée. » par Archie Robertson

« L’aube du 12 juin 1944 ne s’était pas encore pointée lorsque nous avons été réveillés. Il était 3 h du matin et c’était aujourd’hui notre Jour J. Après un petit déjeuner hâtif que nous n’avons à peine pu voir, nous avons marché environ trois kilomètres (km) jusqu’à l’endroit où se trouvait notre camp de transit et nous avons traversé le sud de l’Angleterre au moyen de transport jusqu’à South Hampton, notre port d’embarquement. Nous sommes arrivés au port vers 15 h et nous avons eu beaucoup de plaisir à jouer avec les enfants dans les rues et à donner ou recevoir des souvenirs des habitants de la région. Ils étaient vraiment super et, pour vous dire la vérité, nous étions anxieux quand nous y sommes arrivés, mais les quelques heures que nous y avons passées avant notre départ nous ont mis à l’aise.

J’ai fait rouler notre camion sur un L.C.T (Landing Craft Tanks1) américain et nous étions prêts à quitter l’Angleterre jusqu’à ce que la fin de la guerre nous y ramène. Je pensais que nous partirions la nuit, mais ce n’est qu’à 9 h du matin le 13 juin que l’ancre a été levée et que nous sommes partis en trombe. Nous sommes partis avec deux autres navires et, toutes les 15 minutes environ, nous en avons rencontré d’autres jusqu’à ce que nous soyons près des côtes de la France. J’ai regardé autour de moi et à perte de vue, il n’y avait que des navires, d’autres navires et encore d’autres navires, jusqu’à ce qu’on ne puisse plus en croire ses yeux. La traversée s’est déroulée sans incident, un peu houleuse peut-être, mais les repas étaient sensationnels.

Le menu du petit déjeuner nous proposait des saucisses, des pommes de terre, du café et du pain blanc. Pour le souper, nous avons mangé du poulet à La-King et, je ne plaisante pas, des pêches en conserve pour le dessert, encore une fois avec du pain blanc. Vous remarquerez peut-être que je parle de pain blanc, mais continuez à lire mon cher ami et vous verrez pourquoi. Nous avons débarqué à Arromanches à 22 h 15 le 13 juin voilé d’un écran de fumée. Je n’oublierai jamais cette nuit-là de mon vivant. Nous n’étions pas sur la plage depuis plus de 10 minutes lorsque les appareils boches sont arrivés et que l’enfer s’est déchaîné. Un canon de la DCA2 a ouvert le feu juste à côté de notre camion et en sursaut je me suis dit, bon, on a essayé quand même, rentrons à la maison, mais on m’ont dit qu’on s’y habituerait, alors j’ai mis ma tête sous la couverture et j’ai commencé à prier. Le vieux Boche se débrouillait plutôt bien, il a touché deux navires et en revanche j’ai vu nos artilleurs en toucher deux. Nous avons campé sur la plage jusqu’au lendemain matin pendant que de grand feu d’artifice a duré toute la nuit. Heureusement, nous nous en sommes sortis en bon état et, à 6 h du matin le 14 juin, nous sommes partis pour notre camp qui se trouvait à Crépon, entre Bayeaux et Caan. L’aérodrome n’était rien d’extraordinaire, il ressemblait au désert du Sahara — de la poussière et du sable partout. Nous avons déchargé nos camions et trouvé un endroit pour planter nos tentes et nous avons commencé à mettre en pratique ce vieux slogan « A Canuck Goes to the Continent3 ».

1 Barge de débarquement de chars d'assaut 2 Defense Contre Avion 3 Un Canuck se rend sur le continent

L’auteur Archie Robertson (à droite) avec son frère Alex de Bainsville, en Ontario, sur la rive nord du Saint-Laurent, en amont de Montréal. Quatre des six frères Robertson étaient au service du Canada pendant la Seconde Guerre mondiale. Les deux plus âgés — Albert et William — ont rejoint l’armée, tandis qu’Archie (le plus jeune) et Alex sont devenus tous les deux mécaniciens d’avion dans l’ARC. Photo : Archie Robertson Collection

Dans le paragraphe précédent, l’auteur, Alex Robertson, fait référence au manuel d’éducation/guide de conversation français-anglais « A Canuck Goes to the Continent - Volume 1 » qui enseignait un vocabulaire français et allemand de base aux militaires canadiens. Chaque soldat canadien qui a pris d’assaut les plages le jour J ou qui a débarqué dans les semaines qui ont suivi en avait un exemplaire. Le volet français a été rédigé et compilé à Vancouver par Isabelle Burnada. Cette brochure a été publiée pour la première fois en 1941. Les troupes canadiennes l’avaient déjà utilisé en Afrique du Nord et au Congo. Photo : Juno Beach Centre

B2, le premier aérodrome d’assaut utilisé par le 421e Escadron sur le continent, était à Bazenville, en Normandie. Selon l’auteur : « Il ressemblait au désert du Sahara — de la poussière et du sable partout ». Ici, un pilote de Spitfire du 421e Escadron se prépare à une sortie au-dessus des lignes ennemies, à quelques kilomètres de là. B2 a été construit par les Royal Engineers qui ont commencé la nuit du 6 juin. Bazenville aurait dû devenir le premier terrain d’atterrissage allié en Normandie le 9 juin, mais un B-24 Liberator s’est écrasé sur l’aérodrome inachevé ce matin-là et a arraché une grande partie du treillis métallique utilisé pour les pistes et les rampes. L’aérodrome a été achevé deux jours plus tard, le 11 juin, et les 36 premiers Spitfire de la 127e Escadre de l’ARC ont été ravitaillés le même jour. Le 421e Escadron, une unité du 127e Groupe, arrivera trois jours plus tard. Photo : Imperial War Museum

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Cette nuit-là s’est avérée une copie conforme de la première nuit, mais un peu plus menaçante, ce qui fait que nous avons passé deux nuits consécutives sans dormir. Le matin, nous étions encore tous là et nous devions préparer l’accueil de nos appareils prévu cet après-midi-là. Nous devions mettre au point notre camouflage au cas où le vieux Boche lancerait des fusées qui éclaireraient nos appareils pendant la nuit. Nous étions un escadron de Spitfires — le 421e Escadron Red Indians — et notre devise était « Sur le sentier de la guerre ». Lorsque nous sommes arrivés sur le continent, j’entretenais l’appareil « H » pour Harry et le capitaine d’aviation Paterson était mon pilote. Mon monteur était un grand gars nommé Evy Spence qui est resté avec moi jusqu’après la guerre. Nous avons donc établi un tableau de service et, de cette façon, nous avons réussi à obtenir quelques heures de sommeil pendant la journée, car nous ne pouvions pas dormir la nuit.

Sur le sentier de la guerre continue après l’encadré….

Encadré : John Norman Paterson et son Spitfire

Comme la plupart des monteurs de cellules pendant la guerre, Robertson se voyait souvent attribuer un Spitfire particulier, qu’il en est venu à considérer comme le sien. Il s’agissait du Spitfire AU-H (AU était le code d’identification du 421e Escadron de la RAF, et H était le code lettre de l’avion attribué par l’escadron. Selon Archie Robertson, l’homme qui a le plus piloté « son » avion et qui de fait il considérait comme son pilote au cours des premières semaines de la campagne de Normandie était John Norman Paterson, de Fort William, en Ontario (à l’extrémité ouest du lac Supérieur, aujourd’hui connu sous le nom de Thunder Bay). Paterson était le descendant d’une famille riche et influente de la région des lacs propriétaire d’un énorme silo à grains et une entreprise de transport de céréales.

Après la guerre, Paterson a acquis un ancien Spitfire des forces aériennes néerlandaises et belges (numéro de série RAF NH188) qui avait été endommagé et l’a remis en état de vol souhaitant probablement avoir la chance de piloter à nouveau son type d’avion préféré, le Spitfire. Il en a ensuite fait don au Musée de l’aviation et de l’espace du Canada, où il se trouve encore aujourd’hui, portant les marques de l’AU-H bien-aimé d’Archie Robertson. Le véritable AU-H était très probablement le Spitfire MJ820, que Paterson a piloté le plus fréquemment, selon le journal des opérations du 421e Escadron. Le 18 août 1944, le Spitfire MY820, piloté par le lieutenant d’aviation Leyland lors de sa troisième sortie de la journée, s’est écrasé à l’atterrissage et a été détruit. Leyland a survécu.

Une photo du capitaine d’aviation John N. Paterson assis dans son Spitfire qui est également celui de l’auteur lors des opérations après le Jour J. Notez les trois marques de victoire sur le fuselage. Photo via Northeast Ontario Air Search and Rescue

Les pilotes du 421e escadron posent avec leur commandant d’escadre Johnnie Johnson, DFC1 avec barrette (au centre avec un ascot à motifs) et le commandant de l’escadron, le chef d’escadron Buck McNair, DFC et 2 barrettes (avec un ascot en soie blanche). John Paterson est assis au premier rang à l’extrême droite. Cette photo a été prise en août 1943. Photo: Len Thorne via Spitfire—The Canadians by Robert Bracken 1 Distinguished Flying Cross

Une mauvaise photo tirée d’une photocopie de l’auteur Archie Robertson (à droite) avec des amis à côté d’un Spitfire du 421e Escadron, qui pourrait très bien être le « H » pour Harry (la lettre H est peut-être lue sur le fuselage, devant la bande du fuselage). On ne sait pas qui étaient les autres, mais l’homme au milieu est probablement le capitaine d’aviation John N. Paterson. Photo : Archie Robertson Collection

Une photo spectaculaire du Spitfire CF-NUS de Paterson lors de son premier vol à l’hiver 1961/62 au-dessus de Fort William. Le Spitfire était de couleur bleu clair avec des éclairs de couleur blanc et noire via Fly North, le bulletin du Northwestern Ontario Aviation Heritage Centre.

John Paterson aux commandes de son Supermarine Spitfire nouvellement restauré à l’aéroport de Lakehead durant l’été 1962. Notez l’emblème guerrier du 421e Escadron sur le fuselage. Paterson était le descendant d’une famille d’armateurs maritimes aisée de ce port du lac Supérieur. Photo : Allan Peden. Technicien en météorologie à l’aéroport de Lakehead à l’époque.

Le Spitfire CF-NUS vu sous un autre angle. Il s’agit peut-être du premier Spitfire privé au Canada. John Paterson est aux commandes alors que l’appareil réchauffe son moteur en juin 1962. Photo : Allan Peden. Technicien en météorologie à l’aéroport de Lakehead à l’époque.

Un modéliste britannique du pseudonyme de « lancfan », qui a le sens de la rareté, a affiché une maquette de la marque Airfix qu’il a reconfigurée pour créer une ressemblance avec le Spitfire de Paterson.

John Paterson discute avec des amis après son vol, sous le regard admiratif des gamins. Photo : Allan Peden. Technicien en météorologie à l’aéroport de Lakehead à l’époque.

Spitfire à ailes tronquées du 421e Escadron du Musée de l’aviation et de l’espace du Canada a été offert à la collection par John Paterson, ancien pilote du 421e Escadron. Le Spitfire était semblable à celui qu’il avait piloté pendant la Seconde Guerre mondiale dans l’ARC et, à une époque où la préservation des aéronefs historiques était encore peu courante, il l’a restauré et remis en état de vol et l’a fait peindre avec les marques que « son » Spitfire portait lors de son service à l’escadron 421. Une fois la restauration terminée, il l’a piloté pour la première fois au cours de l’hiver 1961/62 dans la région de Lakehead (Thunder Bay) jusqu’en 1964, date à laquelle Paterson en a fait don au Musée canadien de l’aviation à Ottawa. Nous voyons ici le « pilote de l’auteur », John Paterson, le piloter en 1964 sous l’immatriculation civile CF-NUS au-dessus du lac Supérieur, près de ce qui est aujourd’hui Thunder Bay. Photo Wiki Commons.

CF-NUS sur le gazon de la station de l’ARC Rockcliffe en 1964, peu après que Paterson l’ait piloté de Thunder Bay à Ottawa où l’appareil trouvera son lieu d’exposition permanente. On peut le voir dans l’exposition sur la Seconde Guerre mondiale de l’actuel Musée de l’aviation et de l’espace du Canada, toujours à Rockcliffe. La seule chose qui diffère aujourd’hui de cette photo est la suppression de l’enregistrement civil sur la queue. Photo : The Caz Caswell Collectionda Aviation and Space Museum still at Rockcliffe. The only thing that is different today from this photo is the removal of the civil registration on the tail. Photo: The Caz Caswell Collection

Fin de l’encadré

Sur le sentier de la guerre — suite

L’aérodrome ne se trouvait qu’à trois ou quatre milles de la ligne de front et on pouvait entendre les obus de la marine passer au-dessus de la cible en chemin. Nos appareils sont arrivés vers 16 heures et à 17 heures, ils étaient prêts à affronter l’ennemi à partir de ce moment-là. Ils ont dû faire trois ou quatre fois le tour de l’aérodrome avant de prendre de l’altitude, car le territoire ennemi protégé par une DCA toute puissante n’était pas loin. Nous pouvions voir son tir qui parsemait le ciel de bouffées noires. Le lendemain, le reste de notre équipe au sol est arrivé par avion et alors nous sommes devenus vraiment mobiles. Notre journée de travail normale se déroulait comme suit : si vous faisiez partie de l’équipe de service (tous les trois jours), vous vous leviez à 3 h du matin, vous décamoufliez les appareils, vous les faisiez tourner en point fixe et vous les ravitailliez. Vers 4 h, les pilotes sortaient et à 4 h 30, notre cirque volant redémarrait. À 8 h, les deux autres équipes prenaient la relève, nous allions prendre le petit déjeuner et nous étions de retour jusqu’à 19 h 30. À partir de là, on travaillait régulièrement jusqu’à minuit, car c’est à ce moment-là que la nuit tombait sur les plages de Normandie.

À son premier débarquement en Normandie, le 421e Escadron était commandé par le commandant d’escadre Walter Allen Grenfell « Wally » Conrad qui était très apprécié par tous.

Nos rations se composaient de ragoût et de biscotte (hardtack) — pour le petit déjeuner, du ragoût seulement, pour le dîner et pour la variété, du ragoût et de la biscotte pour le souper. Le mess se trouvait dans un champ de vaches, le ciel nous servait de toit, qu’il pleuve ou qu’il vente, et l’herbe verte des champs tenait lieu de mobilier. Vraiment opérationnel — tout était prêt pour un repli rapide, au besoin. Cette situation alimentaire a duré 48 jours, puis un soir j’ai entendu que les gars revenaient du mess et qu’ils donnaient à tout le monde une demi-tranche de pain blanc. Pendant un moment, j’ai cru que la guerre était terminée, mais j’ai vite couru au mess. Il avait vraiment le goût d’un gâteau aux fruits et à partir de ce moment-là, la nourriture s’est améliorée.

En plus de manger en plein air le 421e Escadron et d’autres aviateurs de la 127e Escadre organisaient des services religieux toujours en plein air. Ici, le chef d’escadron Révérend H Crawford Scott, un aumônier protestant de l’ARC, dirige un service informel dans un verger en bordure de B2/Bazenville, en Normandie, en présence de l’équipe au sol. À l’arrière-plan, un Supermarine Spitfire Mark IX (AU-H) du 421e Escadron de l’ARC subit un entretien. AU-H est le Spitfire entretenu par Archie Robertson et piloté à de nombreuses reprises par le capitaine d’aviation J. N. Paterson. Photo : Imperial War Museum

Les habitants n’étaient pas très accueillants, en fait, peut-être n’étaient-ils pas très chaleureux parce qu’aucune guerre majeure n’avait eu lieu en Normandie depuis le 15e siècle. De plus, la nourriture étant abondante dans cette partie du pays et ils comprenaient mal pourquoi nous devions commencer à démolir leurs fermes et à envahir leurs champs. Mais c’était un cas isolé. Les Français nous ont réservé une ovation sans égale dans leurs pages d’histoire.

Un jour, environ quatre appareils boches ont survolé le terrain et l’un des combats aériens s’est avéré vraiment exceptionnel. Un de nos Spits a pris en chasse un M. E. 109 et la fête a commencé. Le Boche a tenté un virage et le Spit l’a suivi de près. Il lui a tiré une courte rafale contre l’ennemi qui tenait de s’évader. Mais une autre petite rafale a atteint son but et il est descendu en flammes sur notre propre terrain. Nous nous trouvions vraiment aux premières loges. Le pilote a réussi à sauter, c’était un Roumain. Il ne savait pas pourquoi on se battait contre les Allemands. Il pensait que nous devrions tous nous rassembler pour combattre les Russes. Entre-temps, les nouvelles de la guerre nous intéressaient toujours beaucoup. Nous écoutions les ondes radio qui nous annonçaient que nous avions gagné quelques mètres de terrain et tout le monde était heureux.

Un Spitfire de la 127e Escadre (canadienne) décolle de B2/Bazenville, en Normandie, pour une patrouille au crépuscule, tandis qu’un Spitfire Mark IX du 403e Escadron de l’ARC attend en position d’alerte. Photo : Imperial War Museum

Un jour, les Allemands ont repris la ville et les gars ne savaient pas comment se comporter. Dans les premiers temps, c’était un va-et-vient continu et nous dormions toujours dans des tranchées, car les nuits étaient plutôt sinistres. Entre les tirs d’artillerie et la DCA, il était impossible de dormir jusqu’à l’épuisement. Nous avons cependant pris une résolution, à savoir que lorsque les Alliés prendraient Caen, nous retournerions dormir dans des tentes, coûte que coûte, et nous avons tenu notre promesse, même si pour certaines nuits c’était vraiment un effort. La nuit du bombardement de Caen était tout un spectacle. Ils nous ont dit que 750 avions allaient bombarder vers 22 heures et que notre escadron devait fournir une protection en altitude. Vers 21 h 45, nous les avons aperçus se diriger vers la cible sous un feu nourri qui a fait sauter un appareil devant nos propres yeux. À leur retour, ils sont passés juste au-dessus de notre aérodrome et deux autres avions qui avaient été touchés se sont écrasés, bien que leurs équipages aient pu sauter en parachute.

Le lendemain, nous avons appris que les Canadiens avaient pris Caen, ou ce qu’il en restait. Dans notre secteur les combats demeuraient assez intenses, mais les Yankees étaient sur le point de surgir. Un jour, le premier ministre Churchill est venu nous rendre visite et il nous a prononcé un grand discours. Il a dit que nous devions être fiers d’appartenir au grand Dominion du Canada et nous a dit de ne pas être trop déçus de notre modeste performance jusqu’à présent (18 juillet). Il a attribué une partie de cette situation au mauvais temps vers la fin du mois de juin, ce qui a contribué à interrompre les ravitaillements. Mais il a dit : « Nous rongeons notre frein en ce moment mais une fois que nous aurons commencé à rouler, rien ne pourra nous arrêter. » (Et c’était bien le cas, car du coup nous avons parcouru environ 400 milles).

Winston Churchill entre en Caen en empruntant le « pont Winston » pour visiter les dégâts causés par les Britanniques et les Canadiens qui ont repris la ville au prix fort. Pendant qu’il est au front, le 18 juillet, il visite l’aérodrome B2 de Bazenville pour prononcer un discours d’encouragement aux hommes de la 127e Escadre. Photo : Imperial War Museum

Peu de temps après, les Canadiens ont commencé à attaquer Falaise. Les Yankees étaient aussi en pleine forme et on s’attendait à une victoire. Nous avons travaillé comme des esclaves pour tout remettre en état. Nous devions encercler la 7e Armée allemande et pendant qu’elle hésitait au centre, toute l’Armée de l’air devait mettre le paquet. Soit dit en passant, nous n’avions que des obus H. E. (High Explosive) et A.P. (Armour Piercing) dans nos canons. La bataille de Falaise a été l’heure de gloire de la 127e Escadre. J’ai oublié les chiffres exacts, mais nous avons détruit plus de chars, de voitures allemandes, etc. que nous ne le pensions. Rommel a souffert aussi. J’espère que l’un de nos appareils l’a atteint et que notre travail n’a pas été vain. Nous avons été cités dans l’ordre du jour et tous les gros bonnets ont envoyé des télégrammes pour dire à quel point ils étaient fiers des réalisations de l’escadre. Nous étions très excités ; tout le monde avait parié que la guerre se terminerait en septembre. Même si nous avons perdu plus d’argent sur des paris que je ne peux en compter, nous pouvions être fiers de notre travail et par conséquent notre moral était au plus haut. L’armée allemande fuyait et nous ne lui avons laissé aucune chance de s’arrêter. Pendant 20 heures par jour, nous les avons arrosés de tirs des airs jusqu’à ce qu’ils soient hors de portée et que nous devions nous déplacer pour continuer.

L’auteur écrit dans le paragraphe précédent que « Rommel a été atteint aussi. J’espère qu’un de nos appareils l’a eu et que notre travail n’aura pas été vain ». Un pilote canadien de Spitfire du nom de Charley Fox est l’un des nombreux pilotes qui ont été reconnus ou qui ont prétendu être ceux qui a attaqué la voiture d’état-major de Rommel sur une route de Normandie. Le général a été si gravement blessé qu’il a été renvoyé chez lui en Allemagne. Indépendamment de la véracité de toute affirmation, les services rendus par Charley pendant la guerre et surtout dans ses dernières années ont été extraordinaires. Il est devenu le colonel honoraire du 412e Escadron et a travaillé sans relâche au nom des anciens combattants et pour honorer leur souvenir. Photo : RCAF

Nous suivions la 2e armée britannique. Au départ, il était prévu que nous nous occupions de la 1re Armée canadienne et que le 84e Groupe [composé de Hawker Typhoon des 123e, 136e et 146e Escadres ; Mustang de la 133e Escadre (Polonaise) et Spitfire des 131e, 132e, 134e, 135e et 145e Escadres-Ed] s’occupe de la 2e Armée, mais lorsque l’invasion a commencé, comme nous, la 2e Armée était prête alors que les autres étaient encore en train de s’organiser, de sorte qu’une escadre canadienne assure la couverture aérienne d’une armée anglaise et vice versa. Le premier déplacement sur le continent a eu lieu à Nonancourt, à environ 80 km de Paris. Nous avons quitté Crépon vers 13 h, le 28 août 1944, et sommes arrivés à notre destination à 23 h le même jour. Nous avons dû emprunter la même route que les Allemands lors de leur retraite, et il y avait des voitures et des épaves de char tout le long des routes. La première ville que nous avons visitée s’appelait Fleury et les rues étaient remplies de gens qui nous ont donné du vin et des fruits ; en retour, nous leur avons offert des cigarettes, des chocolats et tout ce que nous pouvions trouver. Nous avions réussi à dénicher environ trois boîtes de biscuits avant de partir et nous les avons distribuées aux enfants sur la route. Dans certaines villes, les gens saluaient et applaudissaient, c’était une vraie fête romaine. Je peux imaginer l’accueil que les troupes ont dû recevoir avant nous en compagnie des chars de l’avance de l’armée , ils ont dû être submergés. Lorsque nous sommes arrivés à Nonancourt, il pleuvait et il faisait nuit. Nous avons donc dû nous abriter sous les camions et attendre le matin pour monter nos tentes. Le matin est arrivé comme d’habitude et il pleuvait toujours, mais nous avons installé nos tentes et fabriqué des sacs de bois, ce qui était beaucoup mieux que de dormir sur le sol.

Beaucoup d’habitants autour du champ voulaient troquer des petits items avec nous. Ils nous échangeaient des œufs et des légumes contre des cigarettes et du savon, si bien que nous étions très satisfaits de la bouffe pendant le peu de temps que nous avons passé là-bas. Après trois jours, aussi étrange que cela puisse paraître, nous sommes devenus non opérationnels, car l’armée nous avait dépassé ce qui nous a permis une courte période de détente et y inclut notre premier contact avec les habitants de Paris, « Gay Paree ». Nous étions bien là, dans une ville dont tout le monde a entendu parler et dont tout le monde a rêvé. Nous marchions sur les Champs-Élysées parmi des gens qui voulaient nous serrer la main, nous taper dans le dos et nous faire sentir comme si nous étions des héros, ce que nous ne ressentions vraiment pas. C’était très embarrassant, mais aussi très flatteur, quel que soit le point de vue. Nous avons vu l’Arc de Triomphe, grimpé au sommet de la tour Eiffel, apprécier le grand nombre de belles femmes et nous nous sommes vraiment amusés. Parfois, nous faisions du stop et d’autres fois, si on avait de la chance, on avait la possibilité de boire un excellent rhum Liberty. Nous commencions à goûter aux fruits de notre victoire, même si c’était l’armée, et pas nous, qui poursuivait les Allemands en retraite. Quoi qu’il en soit nous avions bien participé à provoquer cette fuite. Lorsque nous sommes arrivés à Paris, ce n’était certainement pas une ville d’abondance, la nourriture était très rare et pour une cigarette, on pouvait choisir son prix. Par contre l’alcool était au rendez-vous et nous avons essayé d’en consommer le plus possible en un minimum de temps. Cependant il fallait toujours se méfier, car il y avait encore quelques tireurs d’élite dans les parages. Une nuit, deux de nos camarades se promenaient dans la poussière quand l’un d’eux a voulu griller une cigarette ; il a craqué une allumette et avec un ping, une balle l’a frôlé. Ils se sont jetés su sol et un gendarme est venu leur dire de quitter la rue et de ne plus jamais s’illuminer dans la rue la nuit. Par ailleurs, nous avons trouvé les bâtiments très beaux, tout blancs et propres. Nous avons détesté quitter cet endroit, mais la guerre n’était pas finie et nous devons reprendre la route. Nous avons quitté Nonancourt pour l’un de nos plus longs trajets, un voyage de deux jours qui devait nous mener en Belgique. Nous sommes partis à 6 h le 22 septembre et ce fut tout un périple. Nous avons traversé la Seine à Mantes une ville qui a été vraiment pulvérisée, mais les gens ne semblaient pas s’en soucier, ils nous encourageaient à poursuivre notre route jusqu’à ce que nous arrivions à Vitry à 14 h, où nous avons installé notre camp pour la journée. Nous nous sommes promenés dans Vitry et les habitants étaient très heureux de nous voir. Nous avons fait nos lits sous un beau ciel étoilé et quand nous nous sommes réveillés pendant la nuit, il pleuvait à boire debout. Pour ma part, j’ai été trempé et, vers 6 h, sous une pluie battante, nous avons avancé à travers ces grands champs de bataille qu’ont connus nos valeureux soldats canadiens d’antan.

Pour tous les gens de la région, impossible d’oublier les noms de Vimy, Arras, Cambrai où les Canadiens ont signé leurs noms avec leur sang. Sur notre chemin vers le nouvel aérodrome, nous devions passer par Bruxelles et nous envisagions de faire le tour de la ville. Nous étions loin de nous douter que dans quelques mois, nous y serions au pied d’œuvre comme des castors. Finalement nous y étions, Beauvechain [désigné B68 Advanced Landing Ground sous le nom de Le Culot — Ed] il était environ 13 h le 23 septembre et nous nous sommes installés dans notre nouvel environnement. Nous avons vite constaté que la piste était en piteux état, avec de gros trous partout sur le terrain, mais le Canada devait faire de son mieux. Au bout d’une semaine environ, certains gars se sont rendus à Bruxelles pour des vacances et se sont bien amusés. Porter un insigne « Canada » sur le continent agit comme laissez-passer pour la gloire et en Belgique, vous pouviez faire ce que vous vouliez et tout allait bien. Le 1er octobre, nous sommes partis pour la Hollande en guise de groupe précurseur. Des parachutistes avaient été largués à Arnhem et nous devions leur apporter un soutien aérien. Nous étions loin de nous douter de ce qui nous attendait, mais nous l’avons appris très vite. Nous avons quitté Beauvechain à 7 h et quel trajet ce fut. Nous avons vraiment pénétré en territoire ennemi et, pour la première fois, nous avons vu des troupes de première ligne en action. Nous suivions la route et, de chaque côté, les Boches étaient toujours là. Si vous regardiez dans les buissons, vous pouviez voir les troupes accroupies sur le qui-vive. J’ai vu un Yankee et il était très équipé. Il avait un couteau dans ses bottes, un Colt 45 à la ceinture et un pistolet-mitrailleur Thompson dans les mains. Sa barbe datait depuis environ une semaine et il avait vraiment l’air d’un dur. J’aurais aimé le revoir dans sa ville natale — je parie que c’était un gentil garçon propre qui allait à la pharmacie du coin avec sa petite amie et lui achetait un soda, mais là, il se trouvait dans la boue et la crasse de la Hollande, sur le point de tuer ou d’être tué, tout ça parce qu’un homme voulait régner sur le monde entier. Un peu plus loin, on trouve des panneaux qui disent « Continuez » : un autre dit « Ne vous arrêtez sous aucun prétexte ». Les Allemands bombardaient la route pour essayer d’empêcher notre ravitaillement et comme j’étais au volant d’un camion-citerne avec 1 000 gallons d’essence, s’arrêter n’était pas une bonne option. Le convoi qui nous suivait a été bombardé, mais heureusement, personne n’a été blessé et nous sommes arrivés à Grave [B-82, au sud-ouest de Nimègue, était connu des Néerlandais sous le nom d’aérodrome Keent-Ed] à 14 h le même jour. Notre aérodrome était un champ étendu entouré d’une digue. Au début, nous avons installé nos tentes près d’un ruisseau, mais nous les avons rapidement déplacées, car c’était trop humide et quelle bonne décision, car une semaine plus tard, le ruisseau débordait et nous aurions été inondés.

Chargement des C-47 Skytrain américains à B-82 Grave en vue de l’opération Market Garden. L’auteur est arrivé à Grave une semaine après que l’opération ait eu lieu. L’ombre du L-19 du photographe est visible en bas. La piste d’atterrissage, dans l’ancien avant-pays de la Meuse à Keent, a été aménagée par les Allemands comme terrain d’atterrissage d’urgence qui n’a jamais servi. Cependant, le 26 septembre 1944, 209 C47 Dakota du 52nd Wing Troop Carrier Command ont atterri à Keent avec des troupes et du matériel pour les Américains et la 2e armée britannique. Malgré le sol marécageux et détrempé, la piste continue d’être utilisée par les escadrons de chasse de la 2nd Tactical Airforce. Photo : ForgottenAirfields.com

Ce soir-là, un appareil boche a largué quelques bombes, mais il a manqué le champ. Cependant, il nous a donné une indication de ce qui allait se passer. Nous avons immédiatement sorti les pics et pelles pour creuser des tranchées de protection. La ligne de front se présentait comme suit : au nord, la Deuxième armée britannique était à environ 8 miles à Nijmegen. À l’ouest, une division polonaise de la Première armée canadienne se trouvait à environ 5 km et à l’est, les Yankees tenaient bon à quelques milliers de mètres. Nous étions assez proches pour entendre le feu des mitrailleuses, et peu rassurés. C’était l’opération qui devait mettre fin à la guerre — nous devions capturer Arnhem, pénétrer dans la plaine du nord de l’Allemagne et écraser les défenseurs du Rhin, mais nous n’y sommes pas parvenus. La première nuit sur les lieux, l’ennemi a coupé notre route de sortie ce qui nous a vraiment isolé. Daniel dans la fosse aux lions m’est venu à l’idée, car nous étions à peu près dans la même situation. Le lendemain après-midi, nous avons tous creusé des tranchées à côté de nos appareils et ce n’était pas trop tôt. Nos appareils étaient partis quand nous les avons creusés et au retour des Boches je me trouvais sur une aile en train de faire le plein quand on a entendu le sifflement des bombes qui tombaient. J’ai entendu la première bombe atterrir et avant que la deuxième n’atterrisse, de ma position sur l’aile j’ai exécuté une culbute et demie digne d’un excellent gymnaste pour tomber sur Rubanez dans sa tranchée. Quelques-uns de nos autres gars n’ont pas eu cette chance : un a été tué et 17 ont été blessés au cours de cette opération. Il s’agissait des avions à réaction M. E. 262 qu’on ne pouvait pas entendre avant leur arrivée directement au-dessus de nous, il fallait se fier à sa chance et continuer à prier.

Un incident amusant s’est produit une nuit. On nous a réveillé vers 2 h du matin pour nous avertir que des parachutistes ennemis avaient atterri à environ trois milles de là. Nous avions entendu des tirs de mitrailleuses et tout le tralala, alors nous avons pensé que le moment de défendre notre propre aérodrome était venu. Imaginez-nous, des soldats qui ne connaissaient rien au combat à mains nues. Ils ne sont jamais venus, cependant le matin venu, nous avons entendu toute l’histoire. Une patrouille polonaise s’était heurtée à une patrouille britannique et ils s’étaient vraiment battus : ils étaient en train de se battre à fond quand quelqu’un s’est rendu compte qu’il y avait eu une erreur et ils ont tout arrêté. Pendant ce temps, la guerre se poursuivait toujours et la Luftwaffe se montrait un peu plus agressive. De temps en temps, il y avait des combats aériens au-dessus du terrain, mais il était assez difficile d’obtenir une description précise de ce qui se passait réellement. Un jour, nous avons vu un Spit se lancer à l’assaut de quelques FW 190 et deux Boches ont été abattus, malheureusement, notre pilote a aussi perdu sa vie, donc nous sommes à peu près quittes sur ce point. Nos gars ont abattu ses quelques avions ennemis avec une moyenne de cinq contre un, ce qui n’est pas mal pour n’importe qui.

Une photo de reconnaissance de la B82 à Keent/Graves entourée d’une digue en bas et à gauche. Photo : Wikipedia

Dans une certaine mesure, nos opérations ont été réduites parce qu’il pleuvait pratiquement tous les jours et comme nous utilisions des pistes gazonnées, elles étaient habituellement détrempées et inutilisables. Entre-temps, nous subissions des bombardements tous les jours, ce qui nous a fait perdre un bon nombre de nos gars. Nous sommes devenus très anxieux et chaque fois que nous entendions quelque chose qui ressemblait à un sifflement, nous nous jetions à plat ventre au sol. Un jour, leurs bombardements ont vraiment atteint un point culminant. À leur retour de patrouille, les gars étaient en train de faire le plein en carburant et en oxygène, etc. des appareils de l’escadron 426 lorsqu’une bombe boche a percuté un appareil de plein fouet anéantissant personnel et appareils. Je n’oublierai jamais qu’un samedi après-midi, alors que nous étions assis dans nos tentes, l’un des gars a suggéré une visite à Légion canadienne pour obtenir notre ration de bière, et j’ai immédiatement été partant. Nous avons obtenu notre ration de bière et sur le chemin du retour, nous avons entendu ce joli petit sifflement familier, alors tout le monde s’est jeté sans exception « PAR TERRE ». Les bombes sont tombées à environ 50 mètres de notre position et on pouvait entendre les éclats d’obus siffler au-dessus de nos corps allongés. Nous l’avions échappé belle et la première chose que j’ai dit en nous relevant c’est : « S’ils m’avaient tué, je ne vous aurais jamais pardonné ». Tous ont bien rigolé, mais certains ne riraient plus jamais. Nous sommes finalement arrivés aux tentes où tout le monde essayait de raconter sa version des faits. Incroyablement, la même chose s’est reproduite, et cette fois c’est ce cher vieux H. qui ne l’a pas échappé. On aurait dit qu’il nous suivait, car notre tente était pleine de trous. La seule chose qui nous a sauvés, c’est que notre tente était montée au-dessus d’une tranchée en forme de carré, de sorte qu’à l’exception d’un coup direct, nous étions à l’abri.

Spitfires sous le feu ennemi à B-82 Grave/Keent en 1944. Photo : LiberationRoute.com

Le mess était vraiment extraordinaire. Il fallait marcher dans la boue jusqu’aux genoux pour y arriver. Pour la nourriture, le menu le plus fréquent offrait du bœuf bouilli avec du riz comme dessert. C’était l’endroit le plus misérable que nous ayons connu et nous étions très impatients de partir pour une foule de raisons. Certains des gars étaient partis en permission à Bruxelles et, le samedi soir, un autre groupe était prêt à partir lorsque la rumeur a couru que nous allions déménager. Nous espérions tous que c’était vrai jusqu’à 7 h, heure à laquelle notre officier mécanicien était censé nous donner le « gin ou le coup d’envoi », comme il disait toujours. Oui, c’était vrai — nous allions déménager à Melsbroek, juste à l’extérieur de Bruxelles [aujourd’hui, c’est le site de l’aéroport de Bruxelles-Ed] et la fête a éclaté. Tout le monde riait et criait et on aurait cru que la guerre était terminée et que nous nous apprêtions à rentrer au Canada. Dans un temps record, nous avons chargé nos camions dans l’obscurité et nous étions tous prêts à partir au petit matin. Nous avons quitté Grave à 8 h le 25 octobre et, après un voyage sans histoire, nous sommes arrivés à Bruxelles à 14 h le même jour.

Photo de reconnaissance aérienne prise de l’aérodrome de Melsbroek, en Belgique, après une attaque de jour par des avions du Bomber Command le 15 août 1944. Les cratères des bombes couvrent la majeure partie de l’aérodrome, qui était l’un des neuf attaqués en préparation d’une nouvelle offensive de nuit contre l’Allemagne. En quelques semaines, il sera capturé par les Alliés et utilisé comme base principale pour la 2e force aérienne tactique de la RAF. Photo : Imperial War Museum

Afin de préparer Melsbroek à recevoir les unités avancées de la 2e TAF, les bulldozers et les niveleuses du 5205 Plant Squadron de la RAF s’affaire à réparer les dégâts que la 2e TAF a causés au terrain lorsqu’il était aux mains des Allemands. Photo : Imperial War Museum

Les hangars de Meslbroek ont été minutieusement camouflés pour ressembler à des maisons et des magasins civils. Le déguisement incluait des toits mansardés, des fenêtres et des cheminées et semblait probablement très réel vu du ciel. On peut se demander si les pilotes d’attaque se sont déjà posé la question : « Que fait une rangée de maisons et de magasins sur un aérodrome ? ». On peut encore lire le panneau « Interdiction de fumer » en allemand sur le mur arrière du hangar. Photo : Imperial War Museum

J'aimerais maintenant vous expliquer notre procédure pour les déménagements. La moitié de tout notre équipement quitte pour le nouvel aérodrome en premier, avec le détachement précurseur, dans des camions chargés. Les autres restent derrière avec les appareils jusqu'à ce que le groupe précurseur ait préparé le nouveau site pour leur arrivée. Une fois le travail fini, les appareils partent en mission et au lieu de revenir à la fin de leur intervention, ils se rendent directement au nouveau site. De cette façon, nous demeurions opérationnels sans perte de temps. Il faut savoir que dans un convoi, la nourriture est très rare. On vous donne un sandwich au petit-déjeuner et c'est censé suffire jusqu'à ce que vous arriviez à destination. La seule chose qui nous permet de tenir le coup, c'est que la plupart des camarades apportent toujours quelque chose qu'ils ont reçu de chez eux dans le camion.

À Bruxelles, nous avions une installation bizarre - notre aérodrome était à Melsbroek, mais nous étions logés à Machelen, à environ quatre milles de là. C'était anciennement une usine de vélos, mais nous l'avions réquisitionnée pour nos besoins. Sans mentir, c'était le bâtiment le plus froid du monde. Le toit était entièrement en verre, le sol en ciment et les murs en briques. Nous dormions sur des sacs à double étage et en dépit de nos cinq couvertures, de nos capotes et des toiles de sol, nous étions toujours gelés. Parfois, au lever le matin, l'eau dans notre tasse était gelée. Nous devions bien nous habiller pour aller nous coucher et c'est l'une des raisons pour lesquelles nous ne dormions pas là très souvent. Nous allions plutôt à Bruxelles pour nous trouver une chambre pour la nuit et, peu à peu, la plupart d'entre nous profitaient de bonnes relations en ville ou à Machelen, de sorte que nous ne dormions dans notre « glacière » que lorsque nous étions en service.

L’aérodrome était satisfaisant, mais terriblement surpeuplé. Nous avions des Mitchells, des Mosquitos, des Dakotas, des Forts (Forteresses), des Libs (Liberators) et pratiquement tous les appareils alliés existants au point où ils devaient faire la queue pour atterrir et décoller. Nous avons vu un Dakota attendre jusqu'à une demi-heure pour décoller. On comprend donc pourquoi il n'était pas très pratique pour un escadre de Spit comme la nôtre, qui devait décoller en une minute environ. Un de nos appareils (E) est parti pour un Burton1 et s'est écrasé à plein fouet. Le pilote s'en est sorti comme si de rien n'était. Nous ne pouvions pas comprendre, car l'avion était une épave totale, ressemblant plus à un accordéon qu'un avion. Par après nos grands patrons ont trouvé un nouvel aérodrome à Evère, de l'autre côté de Bruxelles. Il ne nous a pas fallu longtemps pour déménager et, en une journée, nous avons pris possession de notre nouvel aérodrome. En ce qui nous concerne, c'était aussi bien que Melsbroek et même mieux à bien des égards, puisque nous étions seuls sur le terrain et pouvions nous occuper uniquement de nos affaires.

Au début, nous étions sur la partie gazonnée du terrain, mais comme la neige et la pluie rendaient le sol trop détrempé, nous avons déménagé dans un hangar où il y avait de l'asphalte. Comme nous pensions que la guerre semblait s’être mise en veille pour l'hiver, Von Rundstedt [maréchal commandant les forces allemandes sur le front occidental - ndlr] a effectué une percé juste devant nous. C'était la panique totale et nous devions garder nos fusils avec nous en tout temps. La météo était très mauvaise - brouillard et pluie - et nous n'avons pas quitté le terrain pendant des journées entières. Vers Noël, nous avons échangé nos Spitfire IXbs pour des Spitfire XVIbs et au dire des pilotes ce n'était pas une grande amélioration. Les gars ont été répartis en deux équipages, un pour Noël et un pour le Nouvel An. J'étais en congé à Noël et je l'ai passé avec les gens de Bruxelles, M. et Mme Tedesco. Après, j'ai regretté de ne pas avoir pris congé le Nouvel An.

1 disparu ou écrasé - une expression de la RAF en temps de guerre -Ed

Le 3 septembre 1944, la zone de Haren-Evère est libérée, et seulement trois jours plus tard, les premiers escadrons de la RAF atterrissent. Elle fut désignée comme Advanced Landing Ground B-56 Evère. Les Allemands étant partis précipitamment, les aérodromes jumeaux n'ont nécessité que très peu de travaux de réparation. Entre septembre 1944 et octobre 1945, les Britanniques ont agrandi les pistes, les voies de circulation et les aires de trafic davantage. À la fin de la Seconde Guerre mondiale, les deux aérodromes ont continué à servir les militaires. Il a fallu attendre mars 1946 pour que les aérodromes soient entièrement libérés pour un usage civil.

Les Spitfires du 421e Escadron sur l'aérodrome B-56 d'Evère, en Belgique, se préparent à une opération hivernale tandis qu'un Hudson du RAF Transport Command se pose sur la piste dégagée. Photo: Imperial War Museum

Les Spitfire de l’escadre 127 de B-56 Evère, en Belgique, se préparent à une sortie matinale sous des conditions hivernales. Tout comme l'auteur, les monteurs s'assuraient qu'ils étaient prêts, quelles que soient les conditions. Photo: LAC

Les Belges ne font pas les choses à moitié, ils y vont à fond. Les cafés ont ouvert leurs portes à 18h le 23 décembre nuit et jour jusqu'à la soirée du 26. Ils ne semblaient jamais s’épuiser. La plupart d'entre nous étaient un peu fatigués, mais les Belges ne se laissaient pas abattre. Pour le Nouvel An, la même chose s'est produite : tout le monde s'est défoncé deux jours avant et deux jours après. Nous avions un lieu de rencontre appelé The Continental et la plupart des gars se sont rassemblés là pour célébrer l'année 1945 - l'année de la victoire en Europe et, je l'espère, en Asie également.

Opération Bödenplatte

J'ai eu la chance de me trouver en service le jour de l'an, le jour le plus triste et pourtant le plus victorieux pour certaines des forces aériennes. Il faisait pourtant beau et, comme d'habitude, nos appareils étaient prêts à décoller. Aux premières lueurs du jour, les pilotes étaient également prêts, mais l'ordre a été donné de ne pas décoller, car la piste était trop glacée. Vers 8h30, un essaim d’appareils se dirige vers l’aérodrome. Comme d'habitude, chacun s’interroge sur le type d’avion : l'un dit que ce sont des Mustangs, un autre dit que ce sont des Thunderbolts, le troisième dit que ce sont des Hurricanes, jusqu’à ce que notre commandant crie « Mettez-vous à l'abri, ce sont des Boches! ».

Qui aurait cru que les Boches pourraient déployer 50 appareils? Quelques minutes plus tard, la bataille a commencé et ils nous ont mitraillés sous tous les angles. Le 416e escadron a été pris dans le périmètre de la piste et n'a pas eu la moindre chance. Le 403e escadron a fait décoller quatre appareils. L'un d'entre eux a été abattu au décollage, tandis qu'un autre a abattu 3 Boches et a été récompensé d’une Croix distinguée de l’aviation (DFC) pour ses efforts. [Il s'agissait de l'officier pilote Steven Butte. Il a survécu à la guerre et il est décédé en 2010-Ed]. C'était vraiment courageux que de décoller face à quinze ennemis contre un, mais il l'a fait et cela montre l’étoffe des Canadiens. Cependant, c'était le Boche qui menait la bataille et il nous a vraiment fait voir de toutes les couleurs.

Le pilote de Spitfire du 403e Escadron, le Sous-lieutenant d'aviation Steve Butte, de la Colombie-Britannique, a abattu 3 chasseurs allemands (deux Bf 109 et un FW 190) le jour du Nouvel An, lors de l'attaque Bôdenplatte de la Luftwaffe. Cette photo a été prise plus tard, car on peut voir son ruban de la Croix distinguée de l’aviation (DFC) . Plus tard dans sa vie, Butte sera le colonel honoraire du 403e Escadron, transformée en unité de formation d'hélicoptères commandée par le lieutenant-colonel Dean Black. Photo via https://rcaf403squadron.wordpress.com

Environ 50 appareils ont été endommagés au sol et quelques-uns de nos gars ont perdu la vie. Compte tenu de l'ampleur de l'attaque, très peu ont été tués, car la plupart des gars étaient bien protégés. Vu que la guerre devait être gagnée, nous n'avions pas l’intention de laisser ce petit contretemps nous inquiéter. Le terrain a été nettoyé immédiatement et bien qu'aucun des escadrons n'ait eu assez d’appareils, à nous de prendre notre revanche et par la suite nous avons recommencé nos opérations. L'aérodrome de la 126e Escadre a eu plus de chance. La plupart de leurs appareils étaient en vol lorsque les Boches sont arrivés et ils en ont abattu 26. Nous avons finalement été relégués à la deuxième place après avoir été en tête du palmarès des avions allemands abattus depuis la création de la 2e force aérienne tactique. Le lendemain matin, nous avons commencé à réparer la piste. Six appareils étaient toujours sur la piste avec leurs pilotes sanglés en position d’alerte, au cas où les Boches pensaient pouvoir répéter l'exploit, mais ils ne sont jamais venus.

Les suites de l'attaque de l'opération Bödenplatte à Melsbroek le 1er janvier 1945. L'opération Bödenplatte prévoyait une attaque surprise contre 16 bases aériennes alliées en Belgique, aux Pays-Bas et en France, visant la destruction ou la paralysie d'un maximum d'avions, de hangars et de pistes d'atterrissage. Photo: Imperial War Museum

Du site Web belgians-remember-them.eu : L'opération Bodenplatte, l'attaque aérienne allemande du 1er janvier 1945, a durement touché Melsbroek. Selon Emil Clade (chef du III./JG 27), les positions de la DCA n'étaient pas en service et les avions étaient regroupés ou alignés, ce qui en faisait des cibles parfaites. L'attaque a causé des dommages considérables parmi les unités basées sur place et a été reconnue comme un grand succès. Les Recce Wings (Escadre de reconnaissance) avaient perdu deux escadrons entiers d’appareils. Le 69e escadron de la RAF perd 11 Vickers Wellington et deux sont endommagés. Il est possible que tous les Mosquitos de l'escadron 140 de la RAF aient été perdus. Au moins cinq Spitfires du 16e escadron de la RAF ont été détruits. Le 271e escadron de la RAF perd au moins sept transports Harrow « hors service ». Quinze autres appareils ont été détruits. La 139e escadre rapporte que cinq B-25 ont été détruits et cinq endommagés. De 15 à 20 bombardiers de l'USAAF ont également été détruits. Une autre source indique que 13 Wellington ont été détruits, ainsi que 5 Mosquito, 4 Auster et 5 Avro Anson du 2e escadron de communication des forces aériennes tactiques. 3 Spitfires ont également été perdus et deux endommagés. Au moins un Douglas Dakota du RAF Transport Command a également été détruit.

Pendant ce temps, notre vie sociale à Bruxelles s’améliorait à grands pas. Tout le monde s'était fait des amis et très peu de familles de la région n'avaient pas reçu la visite d'un membre du 127e à un moment ou à un autre. Le lieu de rencontre de l'escadron 421 était le Continental et on pouvait voir la plupart des gars se tapaient une bière pour faire descendre leur cognac. La boîte avait un très bon orchestre - chaque concertiste était également une vedette soliste sur son instrument et le leader savait de façon experte comment jouer le boogie au piano. Les nuits et les francs dépensés ici se sont succédé en grand nombre et nous avons été très déçus lorsque le moment est venu de quitter ce cher vieux Bruxelles. Cependant, je ne peux pas quitter Bruxelles sans dire un mot de leur célèbre Manneken-Pis. J'en ai tellement entendu parler qu'un jour, j'ai demandé à Mme Tedesco de m'emmener le voir. Quand j'y suis arrivé, j’étais stupéfait. Je m'attendais à voir un beau parc avec une grande statue au centre, mais non, elle se trouvait dans un coin perdu d'une rue miteuse et ne faisait que deux pieds de haut. Je l'aurais complètement manquée si quelqu'un n'avait pas été avec moi. J'en ai quand même bien ri et j'ai acheté quelques souvenirs.

La fontaine Manneken-Pis de Bruxelles, qui représente un enfant grandeur nature urinant dans une fontaine, est encore aujourd'hui l'une des destinations préférées des touristes.

Vers le 1er janvier, la météo était très mauvaise et les vols se faisaient rares. Von Rundstedt avait été repoussé à son point de départ, mais continuait à se battre en retraite. Les Américains allaient lancer leur offensive sous peu lorsque j'ai finalement obtenu ma première permission sur le continent pour me rendre en Angleterre. J'ai passé la majeure partie de ma permission à Glasgow, mais je suis allé à Londres pour quelques jours. À Londres, les fusées allemandes [armes allemandes V-1 et V-2] menaçaient toujours et j'en ai entendu quelques-unes tomber, mais cela ne m'a pas beaucoup intéressé après les avoir vues décoller. Mentionnons en outre que la plus belle salle de danse que l'on puisse souhaiter se trouve à Covent Garden et qu’elle rivalise avec toutes celles que nous avons vues dans l'hémisphère occidental. Malheureusement, mon congé s’est terminé et nous sommes retournés à notre chère vieille Bruxelles. Le voyage de retour n'a pas été de tout repos, car nous avons essuyé une tempête sur la Manche et avons dû y rester trois jours et trois nuits. Quoi qu’il en soit, peu de temps après mon retour, nous étions prêts à quitter Bruxelles. Après cinq mois, nous partions. La plupart des gars connaissaient Bruxelles aussi bien que leur ville natale et nous avions l'impression de quitter notre propre région.

Quittant à 8h le 3 mars 1945, nous sommes arrivés à notre destination appelée Peer à midi, le même jour, ce fut un voyage très court et agréable. Le terrain avait été conçu pour les bombardiers moyens et nous l'utilisions temporairement jusqu'à l’arrivée de nos appareils. C'était une poste américaine protégée par un treillis métallique très efficace. La météo s’améliorait et la guerre se déroulait bien. Nous étions tous de retour dans notre routine, après tant de mois d'impasse. D’autre part, notre contingent d'aviation grimpait à nouveau le palmarès et tout le monde était relativement heureux. Nous achetions des œufs et des poulets aux fermiers et nous nous engraissions pour la dernière campagne - l'invasion de la Rhénanie. Les Alliés avaient dégagé les Boches de la rive ouest du fleuve, quelques jours auparavant, et se préparaient à porter le coup de grâce.

Le vendredi 23 mars, on nous a annoncé que la grande opération commencerait à 10h samedi, et nous étions à pied d’œuvre pour tout mettre en place afin d’appuyer les parachutistes qui devaient sautés. Le samedi matin était idéal. Chaud, pas trop venteux et parfaitement claire. [C'était le début de l'opération Plunder, la traversée du Rhin par les Alliés - Ed]. À 9h, le premier groupe d'avions a été aperçu à environ cinq milles de distance et, à partir de là, le ciel s'est rempli de Dakota, de Commandos, de Sterling, de Halifax et de Lib. Il est assez difficile de décrire sur papier ce glorieux défilé d'avions - certains remorquaient des planeurs, tandis que d'autres transportaient des hommes. [Dans le cadre de l'opération Plunder, les troupes américaines, britanniques et canadiennes ont mené l'opération Varsity, un parachutage aérien autour de Wesel, en Allemagne - Ndlr]. C'était l'armada aérienne la plus puissante que l'on ait jamais vue et je dirais même que l'on ne verra jamais plus. Dès 9 h, jusqu'à ce que les Libs avec leur matériel survolent la région à 13 h 40, le ciel était rempli du va-et-vient d’appareils. Nous ne savions pas dans quelle direction regarder en premier, car ils venaient de toutes les directions et après la première heure, il y avait autant d’appareils qui partaient que d’appareils qui arrivaient et c'était tout un spectacle. Par ailleurs, quelques Dakotas ont été touchés et ont réussi des atterrissages d'urgence sur notre piste. A la tombée de la nuit, nous en avions une dizaine éparpillés un peu partout, mais compte tenu de l'ampleur de l'attaque, les pertes en appareils ont été étonnamment faibles. Nous avons demandé à quelques pilotes comment c'était là-bas et ils ont répondu que tout allait bien, mais ne voulaient pas s'engager davantage.

Planeurs américains WACO en route vers Wessel dans le cadre de l’opération Varsity. Photo : warfarehistorynetwork.com

Cette nuit-là, les nouvelles s’annonçaient excellentes. Nous avions vraiment détruit cette ligne allemande du Rhin, supposée invincible. À partir de là, il était difficile de suivre les allées et venues des armées. D’abord, la Deuxième armée britannique a parcouru environ 60 miles en quelques heures, puis la Troisième armée américaine du général Patton a pris le relais pendant un certain temps, et ainsi de suite chaque jour, une armée différente fonçait vers Berlin. Je parle d’une armée différente uniquement pour montrer que tout le monde participait à la cause commune — « LA DÉFAITE TOTALE ET COMPLÈTE DE L’ALLEMAGNE ». Ils faisaient la même chose que lors du premier passage en France, mais encore plus fort. L’escadre 127e était encore au boulot et nous sommes repartis.

Nous avons quitté Peer à 15 heures le 31 mars, et après quelques heures de route, nous sommes arrivés à notre destination : Eindhoven en Hollande. Un séjour très court pour nous, mais les aérodromes en Allemagne n’étaient pas encore débarrassés des décombres et c’était le mieux que nous pussions faire. Cependant, ce rapprochement de 60 milles nous aidait un peu et nous les missions de bombardement su succédaient pour aider la Deuxième armée britannique sur la route de Brême et de Hambourg. Nous avions déjà visité Eindhoven et l’endroit ne présentait que peu d’intérêt pour la plupart d’entre nous. Le temps était très favorable et les vols se multipliaient. Jour après jour, les cibles du soir se bousculaient au tableau : Osnabrück, Mannerheim, Karlsrue, Münster et bien d’autres encore, trop nombreuses pour être mentionnées. En chemin, nous libérions également un grand nombre de nos prisonniers de guerre qui en étaient ravis. Nous partagions leur plaisir, mais l’heure des réjouissances n’avait pas encore sonné.

Officiellement, la guerre n’était toujours pas gagnée, officieusement, nous pensons qu’elle pourrait se terminer à tout moment. Mais tant que le verdict officiel se faisait attendre, nous devions pénétrer en Allemagne et coincer les Boches dans leur propre tanière. Notre déménagement en Allemagne était très bien planifié. Nous devions nous rendre à un endroit appelé Diepholz, à environ 260 milles, et nous devions le faire sans perdre de temps opérationnel. Mon groupe précurseur s’est donc rendu à Goch pour faire l’entretien des appareils, tandis que le groupe principal s’est rendu directement à Diepholz. Cette manœuvre à double volet nous a permis un voyage très intéressant,

Une fois la frontière allemande traversée, nous ne pouvions pas voir la différence entre ce pays et un autre. Nous avons traversé le Rhin, fleuve très impressionnant, à Wessel. Puis nous avons traversé un pays parfaitement plat recouvert partout de nos planeurs. Certains étaient en assez mauvais état, mais il y en avait beaucoup en aussi bon état que le jour où ils ont été fabriqués. Ils avaient tous pénétré à environ dix milles ou plus et ils ont dû faire du bon travail jusqu’à ce que le reste de la bande les rattrape. Nous n’avons pas traversé de grandes villes. Nous étions censés passer par Osnabrück, mais on nous contraint de contourner à la dernière minute. Tous les villages n’avaient pas échappé aux dommages et la guerre était dans chaque foyer allemand, comme il se doit. Nous sommes restés dans un endroit appelé Rheine, à mi-chemin de notre destination. Les autorités ne pensaient pas qu’il était très prudent de s’aventurer plus loin sans qu’une colonne blindée nous accompagne de Rheine à Diepholz.

Des centaines de planeurs WACO jonchent le paysage près de Wessel. Photo : warfarehistorynetwork.com

Départ de Rheine tôt le matin du 13 et, après un voyage sans incident, nous avons atteint Diepholz à 14 h. Nous avons été affectés à des cantonnements qui étaient très chauds et pas trop mal. Nous venions à peine de décharger nos camions que nos appareils sont arrivés, ne nous laissant pas le temps de senreposer. Les pilotes étaient très impatients de redécoller de ce terrain, car il s’agissait du terrain d’aviation [allié] le plus avancé d’Allemagne à ce moment-là et, à un endroit, à seulement huit milles des lignes de front. Donc là nous faisions partie de notre propre ligne de front, car 300 Allemands tenaient bon dans une forêt à environ un mille de la piste. De temps en temps, nous prenions le temps d’observer le spectacle de nos appareils qui mitraillaient les bois. Nous étions bien contents d’être du côté des alliés. Le groupe précurseur faisait toujours des remarques sur la possibilité de passer du temps outre-Rhin, mais nous pouvions toujours répondre en disant qu’il fallait passer du temps en Allemagne, mais c’était pour s’amuser. Nous devions bien trouver quelque chose pour nous amuser avec cette interdiction de fraterniser avec les gens du coin.

Des Supermarine Spitfire LF Mark IXE à ailes tronquées, de l’escadrille B du 443e Escadron de l’ARC, stationnés dans une aire de dispersion recouverte de treillis métalliques (PSP), à B114/Diepholz, en Allemagne. Photo : Imperial War Museum

À ce stade, la guerre touchait rapidement à sa fin et nous tentions tous de la terminer le plus rapidement possible. Or nous avions accès à un centre de villégiature où certains gars pouvaient de temps en temps écouler un laissez-passer de 48 heures. Ils en profitaient pour faire un peu de « fraternisation » en cachette. Notre station était utilisée comme dépôt pour le rapatriement des prisonniers de guerre [alliés] en Angleterre et certains de ces gars ont vraiment eu la vie dure. Ils étaient tous d’accord pour dire que les Allemands étaient tous dégueulasses et essayaient souvent de voler leurs colis de la Croix-Rouge. Nos prisonniers les récupéraient en soudoyant les gardes avec des cigarettes. Nous venions tout juste de nous installer là-bas lorsqu’un autre ordre de départ a été donné et nous avons dû repartir.

Nous avons quitté Diepholz à 13 h le 28 avril pour atterrir à notre dernier aérodrome de guerre à 19 h. L’endroit s’appelait Reinsehlen et je n’arrive toujours pas à comprendre pourquoi. Il n’y avait rien qui portait ce nom à proximité, le village le plus proche s’appelant Schneverdingen. Ce n’était qu’un grand champ et nous nous sommes installés dans des tentes pour la première fois depuis que nous avions quitté Graves en octobre 1944. C’était agréable de vivre à nouveau en plein air et tout le monde aimait ça. Cette nuit-là, nous avons entendu dire que Himmler voulait se rendre uniquement aux Britanniques et aux Américains, mais que nous avions naturellement refusé, car il n’avait pas le choix, soit qu’il se rende aux trois grands, ou très bientôt il n’aurait plus rien à rendre. La Deuxième armée avait capturé Brême et était sur la route de Hambourg. La Troisième armée de Patton était en Tchécoslovaquie, la Première armée de Hodge était de l’autre côté de l’Elbe et les Russes se battaient pour Berlin lorsque le 1er mai est arrivé et que nous étions définitivement rendu au dernier souffle.

Contrairement à la croyance de l’auteur selon laquelle il n’y avait pas de lieu nommé Reinsehlen près de l’aérodrome B-154, il y avait et il y a toujours un petit village de ce nom à proximité. Aujourd’hui, le grand B-154 n’est plus un terrain d’aviation fonctionnel, mais à un kilomètre à l’ouest se trouve Segelfluggelände Höpen (le champ de planeurs de Höpen). Photo : wikipedia

Ce jour-là, un appareil allemand a survolé l’aérodrome avec un couple de mécaniciens comme pilotes. Ils tournaient en rond lorsqu’un Spit les a pris en chasse et ils ont décidé de venir se rendre. Ils ont dit qu’ils essayaient de rejoindre leur pays, mais qu’ils s’étaient perdus. Cette nuit-là, nous avons entendu une grande nouvelle : les Allemands en Italie s’étaient rendus au Field Marshall Alexander et que nous nous rapprochions du but plus vite que prévu. Les rumeurs n’en finissaient plus et tout était en bouleversement. Les paris sur la date de la fin de la guerre, c’est tout ce dont nous pouvions parler et rêver. L’histoire est sur le point de s’écrire et le bon vieux 127e est au centre de l’action, et à juste titre, car nous étions la première escadre opérationnelle sur le continent. Nous utilisions le slogan « Nous l’avons initiée et nous l’avons terminée ». Le 4 mai, retour à la routine et nos Spits ont bombardé le port de Kiel toute la journée. Le soir, nous étions assis dans nos tentes à prendre une bière et à jaser de tout et de rien quand il y a eu un grand défoulement. Les canons de la DCA de défoulent, les fusées éclairantes éclatent partout. Oui, c’était enfin arrivé, la guerre était terminée, dans notre secteur, toutes les troupes allemandes du nord, y compris le Danemark et la Norvège, s’étaient rendues au maréchal Montgomery, commandant du 21e groupe. Nous avons passé un nuit blanche devenus fous et vraiment saouls. Des feux de joie ont été allumés un peu partout sur le terrain, les canons ont continué à faire entendre leurs tirs, les fusées éclairantes et les roquettes éclataient partout lorsque nous nous sommes finalement couchés — ravis que nous eussions vécu pour voir mettre un terme à notre grande croisade.

Archie Angus Robertson


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